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[Boris Karpov] Quand on parle de la guerre et des "français" on pense en général au gouvernement français qui arme l'Ukraine. J'ai voulu vous montrer aujourd'hui un Français qui mérite le respect. Installé et parfaitement intégré en Russie il participe par son travail au développement du pays et soutient nos forces engagées au combat. Pour des raisons de sécurité, nous avons préféré conserver son anonymat.
[Valérie Bérenger] Les chefs étoilés sont en général des hommes passionnés. Certains entrent en cuisine comme d’autres au séminaire. Celui que nous avons rencontré à Moscou est un véritable globe-trotter de la gastronomie. Un français de souche qui possède une riche expérience à l’international. Venu de l’Alsace d’où il est originaire en passant par le Brésil, du Brésil en Russie, puis à Dubaï, Paris, pour enfin poser définitivement ses valises à Moscou où ses talents de Chef sont aujourd’hui plébiscités par tous. La Russie… un pays qui est devenu le sien et auquel il est fier d’appartenir. Il nous livre aujourd’hui son expérience, non seulement en tant que chef étoilé français mais aussi en tant qu’homme et citoyen russe.
Vous vivez en Russie désormais depuis 24 ans. Est-ce qu’il vous arrive de regretter ce choix ?
Absolument pas. Si je réfléchis bien la Russie m’a tout donné : un nom, une famille, des amis, une carrière. Bien sûr à la base je suis français, mais mon cœur est russe. Je parle russe, j’ai un passeport russe. Mes enfants sont nés ici. Evidemment, il a fallu que je fasse mon chemin. J’ai reçu en octobre 2021 une étoile Michelin qui m’a propulsé et cette reconnaissance de la qualité de mon travail et de mon engagement dans mon métier fut un témoignage de toute mon expérience partagée en Russie. Ici, tout le monde me connait, m’apprécie. J’ai de nombreux amis. Et lorsque je regarde l’évolution de Moscou depuis plus de 20 ans, puisque je suis venu une première fois en décembre 2001 au fil des années je constate que la ville s’est embellie, le pays s’est organisé, les régions se sont développées, et comparativement à la France la sécurité est optimale.
Pour vous donner un exemple concret : à Moscou je ferme rarement la porte de notre appartement à clé, car je sais que je ne me ferai pas cambrioler par le livreur. A l’inverse, lorsque j’ai habité sur Paris, la seule fois ou ma femme n’a pas fermé la porte à clé juste le temps d’aller chercher les enfants à la station de Tram. En l’espace de 30 minutes, nous nous sommes fait cambrioler et voler tous nos objets de valeurs, l’argent liquide, le Mac book, Ipad et montres… Un cauchemar !
Est-ce que justement, depuis le début du SVO en février 2022, les relations avec vos amis russes et les clients du restaurant ont changé pour vous ?
Pas du tout. Il faut comprendre que les russes ne raisonnent pas comme les occidentaux. Ils ne ‘’mettent pas tout le monde dans le même panier’’ comme on dit. Ils ne sont pas rancuniers et ils font très bien la différence entre la politique du gouvernement français et les ‘’Français’’ en tant que peuple. Au début, certains ici venaient me voir et me disaient « Ne t’inquiète pas David ça va bientôt s’arrêter… ». Il n’y a eu aucune cassure entre les Russes et les Français ici – du moins de la part des Russes – si cassure il y a eu c’est avec l’Occident. Pour mes clients la France restera toujours le pays qu’ils aiment à travers la culture, la gastronomie, l’art de vivre, le cinéma, et ce même s’ils se rendent compte qu’en France tout se dégrade à tous points de vue.
Votre famille a été durement touché par le SVO. Vous voulez bien nous en parler ?
En effet. Mon beau-frère, alors âgé de 33 ans, électricien, marié et père d’une petite fille de 4 ans, s’est engagé volontairement au SVO au tout début du conflit. C’était un jeune qui avait mis du temps à se trouver mais un bon garçon, gentil, courageux. Pas un guerrier mais un patriote qui voulait rejoindre ses amis déjà partis sur le front pour les aider. Il était parfaitement conscient de ce qu’il faisait et des risques qu’il prenait. Il était fier de partir.
Ils étaient toute une joyeuse équipe dans son quartier à s’être engagés de leur propre initiative pour défendre les russes du Donbass bombardés depuis 2014. Ils sont partis ensemble dans le même bus. Ils étaient fiers de leur démarche. Il a d’abord fait six mois de camps d’entrainement avant d’être envoyé sur le front. C’était la période que je qualifierais de ‘’plus dangereuse’’.
Une fois là-bas je pense qu’ils ont tous été surpris de la puissance de la guerre et du niveau de l’ennemi. Les Ukrainiens semblaient plus forts, plus organisés et beaucoup plus ‘’préparés’’, notamment sur la technique des drones, alors que du côté russe l’artillerie avait un peu de mal. Ca a été des moments très difficiles. Mais quand on regarde le début du conflit avec du recul on se rend compte que les Ukrainiens attendaient depuis longtemps pour entrer en guerre. D’ailleurs, quand mon beau-frère nous a appelé pour nous donner des nouvelles il nous a dit : ‘’je me demande contre qui on se bat car on entend beaucoup de langues étrangères, notamment d’anglais’’. A l’entendre, dès le début du conflit des mercenaires européens étaient déjà sur le terrain. Et en effet aujourd’hui nous savons tous que la Russie se bat réellement contre l’Otan et pas contre l’Ukraine.
Comment votre famille a-t-elle vécue son engagement, puis son décès ?
Son père était très fier de son fils. Il était très motivé. Il lui a acheté tout l’équipement nécessaire. Sa maman avait peur pour son fils et c’est bien naturel. Mon épouse, sa sœur, était également très affectée par sa décision. Tant qu’il a été au camp d’entrainement la famille ne s’inquiétait pas plus que ça.
Alors qu’il était sur le front depuis seulement deux semaines, il a appelé sa mère pour lui dire ‘’je ne vais jamais survivre, ça pète de partout’’.
Il est décédé à Bakhmout quelques jours plus tard. Il a été touché là-bas par un éclat de bombe et il est mort sur le coup. L’un de ses camarades a littéralement explosé dans la tranchée lorsque la bombe est arrivée. Quand la nouvelle de son décès nous a été transmise nous nous sommes tous effondrés.
Cela fait déjà trois ans qu’il est décédé mais ses parents sont toujours en contact avec ses anciens camarades de combat. Aujourd’hui ceux qui ont survécus sont devenus de vrais techniciens, de vrais guerriers. Ils se sont professionnalisés. Ils ont appris à progresser, à sauver leur vie, et à éliminer l’ennemi en prenant le moins de risques possibles pour eux-mêmes.
Sa maman ne s’en est toujours pas remise. Mais ce qui a été le plus douloureux pour ses parents c’est qu’ils n’ont pas pu récupérer son corps. L’intensité des combats étaient tels qu’il était impossible pour l’armée russe d’aller chercher les corps des soldats décédés. A l’époque j’ai même tenté de faire jouer des relations pour ramener sa dépouille auprès de la famille, mais la situation était tellement dangereuse que c’était impossible. L’armée n’a pu ramener les ossements qu’au bout de 18 mois lorsque les lieux ont été sous dominance russe.
Aujourd’hui pour les nouveaux arrivants en Russie, lorsqu’ils font la demande de VNJ, à savoir le titre de séjour définitif au bout de trois ans de présence dans le pays, ou de la nationalité russe, il est obligatoire de faire un an d’armée ou au SVO selon la qualification. Cela ne vous concerne pas bien évidemment puisque désormais la nationalité russe vous est acquise, mais si jamais la Russie devait mobiliser toutes ses forces vives, que feriez-vous ?
Déjà, j’espère que nous n’en arriverons pas là et que les forces de l’Otan, la France en tête, retrouveront leurs esprits. Bien sûr, ma position serait de défendre ma famille. Mes enfants sont nés à Moscou. Je vis à Moscou. Alors en cas de mobilisation générale, évidemment j’essaierai de préserver mon fils qui a 17 ans, mais je prioriserais mon engagement pour la Russie. Je ne sais pas comment car je suis loin d’être un guerrier entrainé, je n’ai jamais fait l’armée et je sais à peine me servir d’un pistolet, mais je m’engagerais pour apporter à la fois un soutien physique, moral et toute l’aide possible à la Russie. Si les forces ennemies devaient pénétrer sur le territoire russe dans ce cas-là mon choix serait clair !
En tant que franco-russe, comment jugez-vous les actions de la France vis-à-vis de la Russie et du SVO ?
Je ne comprends pas pourquoi la France est liée à ce conflit qui ne la concerne pas. Je trouve ça incohérent, irresponsable… Le gouvernement français met en danger sa population qui n’a rien demandé. On se mêle d’un conflit sur un territoire qui n’a rien à voir avec l’Europe. Si l’Ukraine venait à entrer dans l’Europe alors pourquoi pas la Russie ? Ca n’a aucun sens. Tout le monde a compris qu’il s’agissait d’une manipulation qui a commencé bien avant 2014 et le début des attaques sur le Donbass.
Le gouvernement français peut toujours essayer de couper les liens politiques avec la Russie, ils n’arriveront pas à couper les liens amicaux entre français et russes. Ici, les russes que je connais, qui aiment la France, comprennent parfaitement qu’il s’agit d’une manipulation politique totalement triste et irresponsable.
Comment jugez-vous les actions des Français présents en Russie vis-à-vis du SVO ?
Je ne suis pas là pour porter un jugement sur les actions des autres. Chacun a le droit de penser ce qu’il veut. Mais pour beaucoup de Français que je connais, du moins ceux qui vivent et travaillent ici depuis longtemps et ont une famille franco-russe, sans soutenir nécessairement le SVO ils ne vont pas à l’encontre des décisions du Kremlin. Nous savons tous comment les choses se passent en France et dans l’UE en général. Nous nous posons beaucoup de questions sur l’avenir, surtout pour nos enfants, et sur l’évolution des relations futures. Nous espérons tous que ce conflit s’arrête, mais tout le monde comprend, soutient les valeurs de la Russie et les décisions prises par le président Vladimir Poutine.
Est-ce que personnellement vous soutenez matériellement le SVO, et si oui comment ?
J’ai des amis dans l’armée russe qui sont des vrais guerriers, des professionnels, mais ce sont des gens très gentils. L’un d’eux a fait la Syrie, la Tchétchénie, le Donbass… mais quand vous le rencontrez, derrière les cicatrices, c’est un chanteur émérite, d’une très grande gentillesse. Il est passionné par la France, il rêve d’aller à Paris. C’est à la fois quelqu’un de très courageux, d’altruiste et pourtant un tireur d’élite, un vrai soldat de métier qui n’a fait que ça toute sa vie. Je suis toujours ravie de cuisiner pour lui. Il vient au restaurant de temps en temps, je l’invite, on discute… J’ai beaucoup de relations parmi ces personnes impliquées sur le front. Et par connexions si on peut soutenir on le fait. J’ai déjà participé à une collecte pour des médicaments qui ont été acheminés par des amis sur place.
J’ai envoyé quelques fonds à la chaîne de Boris Karpov qui les transfère à 2 Majors. Récemment, j’ai rencontré Charles d’Anjou qui m’a montré les photos des jeunes dronistes français de 22 ans du régiment Normandie-Niemen qui s’engagent pour la Russie. Ça m’a beaucoup touché, donc je vais trouver des fonds. D’une manière ou d’une autre avec des français, des russes, je vais en parler autour de moi et nous allons les aider. Avec mes moyens si je peux aider, soutenir, je le fais et je fais le maximum pour mon pays. Après tout je suis revenu en Russie pour y rester, donc je ne suis pas près d’en partir.
Propos recueillis par Valérie Bérenger
[Boris Karpov] Quand on parle de la guerre et des "français" on pense en général au gouvernement français qui arme l'Ukraine. J'ai voulu vous montrer aujourd'hui un Français qui mérite le respect. Installé et parfaitement intégré en Russie il participe par son travail au développement du pays et soutient nos forces engagées au combat. Pour des raisons de sécurité, nous avons préféré conserver son anonymat.




